Sels de nicotine : quels avantages pour les vapoteurs ?
Des e-liquides contenant une nouvelle forme de nicotine sont en vente.
En quoi ces sels de nicotine changent-ils le vapotage?
Peuvent-ils présenter des risques?
Que peuvent-ils apporter aux produits du tabac chauffé contenant de la nicotine?
Etat des lieux des connaissances actuelles sur les sels de nicotine.
Sels de nicotine : qu'est-ce que c'est ?
La nicotine utilisée dans les e-liquides est une forme de nicotine purifiée.
Elle est aussi appelée nicotine-base.
Cette nicotine a subi plusieurs traitements :
traitement chimique pour être extraite des plants de tabac puis épuration.
«On laisse agir de la soude (une base) sur les feuilles de tabac pour obtenir de la nicotine-base» explique Jacques le Houezec,
scientifique et tabacologue spécialiste de la nicotine.
«Cette nicotine qui est utilisée pour les-e-liquides et les substituts nicotiniques a un PH autour de 8» précise-t-il.
Les sels de nicotine, eux, sont la forme de nicotine la plus proche de la nicotine naturelle.
«On utilise une base, la nicotine-base (celle décrite ci-dessus) à laquelle on ajoute un acide, pour sortir les sels de nicotine »
informe J. le Houezec. Cela retransforme la base en une solution plus acide.
Les sels de nicotine ont un PH de 5-6, comparable à celui de la nicotine que l’on trouve dans la fumée de cigarettes blondes.
Divers acides sont utilisés pour créer une réaction chimique avec la nicotine-base dont l’acide benzoïque.
«Les e-liquides aux sels de nicotine sont un courant initié par l’entreprise Pax Labs, fabricants de la cigarette électronique JUUL ;
leur formulation associe de la nicotine à de l’acide benzoïque » informe Ghyslain Armand, du magazine en ligne Vaping Post.
A l’heure actuelle, certains fabricants commencent à produire des e-liquides aux sels de nicotine aux Etats-Unis,
alors qu’ils ne sont encore que deux ou trois à le faire en France.
Sels de nicotine versus nicotine : ce qui change pour les vapoteurs
Que ce soit pour les cigarettes électroniques ou les produits du tabac chauffé,
les fabricants cherchent à atteindre le niveau de nicotine fourni par les cigarettes combustibles,
qui restent le dispositif délivrant le mieux la nicotine.
Une étude a montré que le produit du tabac chauffé IQOS délivrerait 30% de nicotine en moins qu’une cigarette Marlboro(1).
Les cigarettes électroniques de 2ème et 3ème génération délivrent plus de nicotine que celles de 1ère génération mais elle n’est cependant pas délivrée aussi vite qu’avec une cigarette traditionnelle.
En outre, il faut beaucoup plus de bouffées en vapotant qu’en fumant pour obtenir le même taux de nicotine dans le sang.
Le problème avec les e-liquides contenant de la nicotine purifiée ou nicotine-base est qu’il faut beaucoup de vapeur et des concentrations élevées de nicotine dans les e-liquides pour obtenir le taux de nicotine dans le sang dont certains fumeurs ont besoin pour se passer de cigarette traditionnelle.
Le hit trop puissant est alors désagréable.
Une arrivée de vapeur trop forte dans l’arrière-gorge irrite la gorge et fait tousser.
Cela peut constituer un élément bloquant pour les primo-vapoteurs (ceux qui commencent à vaper) notamment.
Lorsqu’ils fument des cigarettes traditionnelles,
ils ne sentent pas le hit car elles contiennent du menthol ou d’autres additifs qui atténuent le goût âcre de la fumée et facilitent l’inhalation.
Les vapoteurs débutants peuvent donc être tentés de diminuer la concentration de nicotine dans les e-liquides pour avoir la gorge moins irritée mais ils n’ont alors pas la dose de nicotine qu’il leur faudrait dans le sang.
Les sels de nicotine permettent d’améliorer la délivrance de nicotine avec des e-liquides fortement dosés en nicotine (20mg/maximum en Europe, environ 50mg/ml aux Etats-Unis) en réduisant le hit.
Une nicotine avec un PH plus bas (plus acide) est en effet moins irritante et facilite donc l’inhalation.
Des études réalisées par Pax Labs ont indiqué que les e-liquides aux sels de nicotine permettaient en outre une assimilation plus rapide de la nicotine (2).
Mais aucune courbe de cinétique n’indique que l’absorption de nicotine est meilleure.
Jacques le Houezec attend donc des données indépendantes de pharmacocinétique pour se prononcer sur ce fait.
Pour lui, «ces sels de nicotine n’entraînent pas une absorption plus rapide de la nicotine
- quelle que soit l’acidité avec laquelle la nicotine atteint les poumons, il y a une substance tampon sur les poumons qui fait que la nicotine va être mise à un PH physiologique
- mais permettent une inhalation plus facile avec des liquides plus fortement dosés en nicotine».
«C’est un accélérateur pour avoir plus rapidement la dose voulue de nicotine » estime Sébastien Béziau, créateur du blog et du magazine VAPYOU et vapoteur qui teste les sels de nicotine.
Sels de nicotine : des avantages pour les fumeurs de cigarettes électronique (et de produits du tabac chauffé ?)
« Les sels de nicotine permettent d’avoir des e-liquides contenant le plus fort taux possible de nicotine (46-56 mg de nicotine par millilitre aux Etats-Unis ou maximum 20mg de nicotine autorisés en Europe) mais sans avoir de hit » explique Ghyslain Armand.
«Il y a un réel avantage pour les vapoteurs qui ont un fort besoin de nicotine pour pouvoir se passer des cigarettes».
«En outre, cela a un impact sur l’aspect comportemental :
les vapoteurs peuvent vapoter comme ils fumaient et ne pas avoir une cigarette électronique toujours en bouche» indique-t-il.
Un atout confirmé par Sébastien Béziau:
«En quelques bouffées, on se rapproche plus rapidement du niveau de plaisir que l’on recherche avec une cigarette»,
et de préciser son expérience :
«Pour avoir ma dose de nicotine je vapais toute la journée.
J’utilisais entre 8 et 10 mL par jour de e-liquide en 6 mg/mL.
Je suis passé à 2mL par jour en 20mg/mL.
J’ai toujours la même dose de nicotine en valeur absolue mais je n’ai plus tout le temps ma cigarette électronique dans les mains.
Je produits très peu de vapeur et cela dérange aussi moins les autres.»
Celui-ci souligne un autre avantage des e-liquides aux sels de nicotine:
«cela permet d’avoir un matériel plus petit, avec moins de puissance, qui a moins besoin d’être rechargé, plus simple».
Pour lui, de nombreux nouveaux matériels vont certainement arriver sur le marché, adaptés et plus légers pour ces e-liquides aux sels de nicotine.
Les sels de nicotine intéressent aussi les fabricants de tabac.
Ainsi, le produit STEEM du groupe Philip Morris (rachat d’un brevet en 2011 par le groupe) est basé sur les sels de nicotine.
Ce produit génère une vapeur contenant de la nicotine sous forme de sels de nicotine.
C’est une réaction chimique entre la nicotine et un acide organique (acide pyruvique) qui crée une vapeur contenant du sel de nicotine (puryvate de nicotine).
Les particules fines très solubles dans l'eau seraient inhalées facilement.
Les études menées par Jed Rose (inventeur du produit) et son équipe ont conclu que le puryvate de nicotine serait plus efficace au niveau pulmonaire que la nicotine pure.
Comparativement au placebo, l'inhalation de pyruvate de nicotine produit une forte augmentation des taux de nicotine dans le plasma et satisfait les fumeurs (3).
E-liquides aux sels de nicotine : pour qui ?
Les e-liquides aux sels de nicotine sont tout d’abord intéressants pour le profil des primo-vapoteurs.
Jacques le Houezec voit les sels de nicotine comme un produit de transition pour certains fumeurs qui passent à la vape et qui n’arrivent pas à obtenir suffisamment de nicotine car ils ont du mal avec des bouffées plus importantes (nécessaires lorsque l’on vape pour ne pas avaler d’air avec la vapeur) qui irritent la gorge.
C’est le cas de ceux ayant une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), un emphysème, ou de très gros fumeurs avec une arrière-gorge très abîmée.
«Les sels de nicotine leur permettent de vapoter quelque chose d’efficace sans avoir d’irritation» explique le Pr le Houezec.
« Ensuite, ils peuvent repasser à de la vape traditionnelle.
Cela les aide à passer le cap de l’arrêt de la cigarette ».
Les sels de nicotine sont également intéressants pour ceux qui vapotent beaucoup car ils ont un fort besoin de nicotine. «Ceux qui consomment par exemple 30mL par jour peuvent avoir un petit système de e-cigarette produisant un aérosol moins « aérien » qui leur délivre des doses de nicotine plus importantes. Cela va leur permettre de diminuer la quantité de vapeur inhalée chaque jour» informe J. le Houezec.
Sels de nicotine : risques éventuels et précautions d’usage
Pour Jacques Le Houezec, spécialiste de la nicotine,
les sels de nicotine ne présentent pas de danger sanitaire car c'est une des formes de la nicotine.
Des scientifiques s’inquiètent de la présence de benzène du fait de l’association nicotine/acide benzoïque dans la JUUL.
Le Dr Konstantinos Farsalinos a souligné le potentiel dangereux de certains acides qui pourraient être utilisés pour extraire les sels de nicotine.
Aujourd’hui par exemple, les effets à long terme du benzène inhalé ne sont pas connus.
Le groupe PMI, lui, a mené des recherches sur des animaux sur l’inhalation d’acide pyruvique :
seuls des effets biologiques mineurs ont été observés.(4)
«Comme ces e-liquides sont très fortement dosés en nicotine,
il ne faut pas les utiliser sur des appareils à grosse puissance mais sur des résistances élevées à faible puissance pour éviter des shoots de nicotine ultra-violents» prévient Ghyslain Armand.
Le risque de ces très fortes doses de nicotine reste cependant modéré, cela entraîne au pire des vomissements.
«Utiliser un petit matériel pour vapoter des sels de nicotine est une recommandation en l’absence de données et aussi parce que cela ne présente pas trop d’intérêt d’utiliser des matériels plus puissants» estime le Pr le Houezec» «Il va y avoir des tests avec des mesures d’émission qui nous permettront de faire de nouvelles recommandations».
«Le hit étant absent, on peut inhaler des bouffées à répétition sans sentir le hit et cela monte vite à la tête» estime Ghyslain Armand.
«Ce qu'on peut craindre, c'est leur potentiel addictif beaucoup plus fort, mais généralement le vapoteur maîtrise très bien sa dose de nicotine» souligne Ghyslain Armand du Vaping Post.
Pour ce qui est d’une dépendance potentiellement plus importante chez les non-fumeurs, le pharmacologue Jacques Le Houezec trouve cela improbable.
«Pourquoi un jeune qui trouve du plaisir en vapant des sels de nicotine se tournerait-il vers les cigarettes ?» Pour lui, ce n’est pas plus un risque que la fameuse crainte de passerelle entre vapotage et tabagisme.
Les sels de nicotine vont continuer à faire parler d’eux.
Beaucoup de données manquent encore pour donner toute l’information aux consommateurs.
Le Pr le Houezec va lancer une étude pour savoir si les sels de nicotine pourraient permettre à certains profils de fumeurs de s’arrêter plus facilement de fumer qu’avec la vape traditionnelle.
Un des principaux avantages est qu’on inhale moins d’aérosol,
et donc qu’on s’expose moins aux substances contenues dans l’aérosol
(Auteure : Anne-Sophie Glover-Bondeau | Janvier 2018)
REFERENCES
SOURCES
PMI